Plongeon nostalgique dans Perfect Blue

Aujourd’hui dans cet article nous aborderons l’un des chefs-d’œuvre de Kon Satoshi, sorti en 1997. Pour que Roger Corman, le pape de la série B, dise que Perfect Blue est la fusion parfaite entre l’univers d’Hitchcock et un bon Walt Disney, c’est que ce film vaut peut-être le coup d’être vue. Ce film d’animation se démarque par une construction narrative tortueuse, avec un jeu sur les degrés de réalité destiné à refléter le trouble et la possible schizophrénie de l’héroïne.

Bleu parfait et plus

Le titre du film est à lui seul une énigme bleu parfait ? Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? A-t-il seulement un lien avec le film, ou bien a-t-il uniquement été choisi pour son côté étrange et l’impression de plénitude qui s’en dégage ? Une explication, qui vaut avant tout pour son existence, se trouve dans la scène finale du film, qui s’ouvre sur une vision du ciel, un ciel d’un bleu azur, limpide, parfait.

Pourtant l’action du film se déroule en intérieur, de nuit, ou par un temps nuageux et pluvieux. Au cours du concert ouvrant le film, le ciel, même si cela n’est pas aussi net, est clair et dégagé. Ce ciel peut représenter mima, dans ses doutes et ses craintes durant tout le film, dans son bonheur discret du début du long-métrage à l’aube d’une nouvelle carrière, et dans, enfin, un accomplissement, une libération de son moi intérieur, à la fin du film.

Qui êtes-vous ?

Cette interrogation résume à elle seule le processus même du  film. Ce sont les premiers mots au cinéma de la jeune actrice Kirigoe Mima, ancienne idol reconvertie. Elle a abandonné sa première carrière, ce qui n’est pas du goût d’un psychopathe, qui, non content de multiplier les meurtres dans l’entourage de la jeune femme, contribue à la persécuter. D’autant plus que Mima accepte de casser son image de jeune fille sage en se soumettant à des photos de charme.

Elle commence à s’interroger sur la validité de son choix, et de cette hésitation, naît une nouvelle Mima, ou plus exactement une ancienne Mima, une projection de ce qu’elle regrette ne plus être. A partir de là, mima commence à halluciner, se voyant  en idol, critiquer ses choix. C’est une représentation schizophrénique du doute et de l’hésitation, renforcée par ses proches et par la teneur du film qu’elle tourne.

Ses proches, qui, comme son manager, lui permettent de se replonger dans son ancienne vie, via son site internet. Le site est un élément central, voire primordial, quant aux troubles de la personnalité de Mima. En découvrant, d’abord, qu’elle est stalker et que chaque action de la Mima idol l’est aussi. La Mima actrice est d’abord troublée, puis comme cela est montré dans une scène remarquable, elle se sert de ce site comme source d’information sur ses propres actions, preuve, s’il en est de ses troubles mentaux. Elle n’existe plus, en tant qu’individu propre, que par l’intermédiaire de ce qu’elle aurait pu être.

La représentation de l’élément schizophrénique est simplement exceptionnelle, avec cette Mima bondissante et légèrement brillante, symbole d’une époque révolue, qu’elle veut imposer comme étant la seule méritant d’exister. Cette Mima symbolique n’est pas seulement représentative des troubles de Mima, mais permet aussi un véritable flashforward de la révélation de l’identité de l’assassin, lui, véritable schizophrène, qui va personnaliser les doutes et les troubles de Mima, et lui permettre de finalement se libérer de son passé.

Double lien

Le film dans lequel joue Mima, Double lien, joue son rôle pour troubler la pauvre héroïne. Dans la mesure où sa vie perd du sens, Mima se raccroche à la seule chose qui peut lui donner un sentiment d’existence, c’est-à-dire son personnage. Mais ce personnage est lui aussi un être fragile, secoué de troubles et de difficultés, à la vie emplie d’expériences traumatisantes, come la terrible scène du viol, où la distinction entre Mima et son personnage est réduite à l’extrême.

Est-ce le film qui influe sur la personnalité de Mima, ou bien est-ce elle qui, par ses actes et sa volonté de se raccrocher à quelque chose, se laisse entraîner, jusqu’à une identification quasi-totale avec son personnage ?

La réponse tient certainement des deux éléments, profondément imbriqués. Ainsi, l’interrogatoire est présenté deux fois au spectateur, la version de Mima, puis la version réelle. La différence du propos tient uniquement en un problème d’identité, mais joue aussi sur le trouble extrême de Mima, qui s’impose au regard du spectateur, qui se laisse tout d’abord prendre par la version d’origine, avant de réaliser que tout ceci ne faisait que représenter les sentiments de Mima.

Le jeu du film dans le film est aussi là pour représenter la manière dont l’existence de Mima, petit à petit, se rapproche de l’inexistence.

Un film d’animation à la mise en scène splendide

Toute la mise en scène du film est destinée, passée la première demi-heure à mettre en place les deux images de Mima ; la star adulée et la jeune femme normale, dans une réflexion limite proustienne sur l’identité et ses couches d’apparences. Le spectateur est plongé dans un fonctionnement ronronnant de simplicité de lecture ; représenter et exprimer de façon purement visuelle le trouble de Mima.

C’est bien là où repose tout le génie de la mise en scène, pratiquement à aucun moment, il n’est clairement dit que Mima est troublée, choquée, traumatisée. Si les images en elles-mêmes l’expriment, celles-ci ne seraient rien sans la mise en scène, et un montage réellement ingénieux, qui joue sur les constantes mises en perspective du propos. Mais aussi, même en dehors des scènes d’action, on trouve un montage rapide et vif, sautant d’une scène à l’autre sans hésiter.

De même, les difficultés du spectateur à suivre le récit sont valorisées par les choix de mise en scène, qui accentuent le trouble de la compréhension par une impossibilité de se repérer dans l’image, rien dans la mise en scène n’exprime que l’on assiste à une scène de rêve, ce qui est en total rupture avec une cinématographie plus classique, où une telle scène est souvent visuellement explicite.

Une œuvre complexe et troublante

Il n’est pas question ici d’analyser séquence par séquence la construction narrative de Perfect Blue, mais plutôt de voir comment cette construction permet de renforcer les effets dramaturgiques du film. On voit apparaître les premières mises en abîmes environ à la moitié du film, à partir du moment où Mima commence à réellement se perdre dans un début de déchéance, à la suite des premiers meurtres, et des ses premières hésitations.

Ces mises en perspective du propos du film, destinées à refléter le trouble de Mima, mais aussi à le renforcer, sont principalement de deux natures, auxquelles il convient d’ajouter un troisième élément, artifice scénaristique plus que narratif.

Ce troisième élément, c’est la figure étrange, fantastique, limite angélique de la seconde Mima, reflet de tous les regrets que la vraie n’ose clairement pas s’avouer en face. Les deux autres éléments, purement narratifs, sont le rêve et l’hallucination d’un côté, et le film de l’autre. Dans le premier cas, cela donne lieu, de manière peut-être un peu abusive, à des scènes extrêmement fortes, avec un point d’orgue la scène des poissons morts, et les réveils successifs de Mima, réelles scènes de rêve avec un petit sous-entendu sur une des scènes finales, pour ce qui est des poissons et de leur existence.

C’est dans le lieu où ceux-ci sont présents exactement comme chez elle que Mima découvre et fait face à sa propre existence et à sa propre mort. Rêves ou bien simple représentation symbolique d’un quotidien répétitif et vide à un tel point que Mima est incapable de distinguer quelque différence que se soit.

Quoi qu’il en soit, et cela est également valable pour les scènes du film, il est capital de noter que, durant tous ces jeux de construction, le spectateur est constamment laissé au même niveau que Mima, qu’il n’a jamais un indice d’avance sur elle, ce qui est fondamental à la fois pour jouer sur le suspense d’une situation, mais aussi pour accrocher le spectateur à l’action, et renforcer la force des scènes.

Pour ce qui est des scènes du film, ici encore Kon Satoshi joue sur le niveau parfaitement identique de perception entre Mima et le spectateur, pour empêcher le spectateur de discerner la réalité du fantasme ; tout ceci commence évidement par la première apparition de Mima, et de son « Qui êtes-vous ? » qu’elle se répète sans fin.

Et c’est sans compter les innombrables jeux sur les scènes qui se répètent deux fois, une première comme expression de ce que ressent Mima, et qui n’existe que dans son imagination et une seconde comme la réalité. A chaque vision de Perfect Blue, de nouveaux éléments de réflexion viennent s’ajouter, de plus Kon Satoshi est parvenu à livrer un jeu narratif novateur et extrêmement riche. Novateur dans sa volonté de laisser planer le doute, de gommer les traces de construction du récit, et riche car les notions évoquées, que ce soit celles du film dans le film, de la schizophrénie, ou encore du thriller plus classique, sont toutes parfaitement intégrées les unes aux autres.

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