Hommage à Isao Takahata

Isao Takahata
Si tout le monde connaît le génie de Hayao Miyazaki, trop peu de gens connaissent son mentor, Isao Takahata, l’autre génie sans qui le dessin animé japonais aurait eu un autre visage. Mélomane, lettré et engagé, ce créateur hors norme qui nous a quittés à l’âge de 82, et il n’a eu de cesse pendant toute son existence à toujours innover.
Un homme les deux pieds sur terre !
Moins connu en France que son ami Miyazaki Hayao, Takahata Isao a tendance à rester dans l’ombre de son glorieux cadet. Son parcours et son œuvre, qui illustrent de façon exemplaire les limites des oppositions usuelles entre production commerciale et animation d’auteur, en font pourtant un personnage capital dans l’histoire du dessin animé de son pays, des années 1960 à nos jours.
Acteur de la profession depuis les débuts de l’ère des grands studios, artisan d’évolutions majeures dès son premier long métrage, il a marqué de son empreinte l’animation télévisée des années 1970, avant de donner forme, au sein du studio Ghibli, à un réalisme documentaire sans équivalent dans la production animée de son pays.
Made in Tôei !
Né en 1935, diplômé de littérature française à l’université de Tokyo en 1959, il découvre la nouvelle vague du cinéma français et surtout le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault. Il entre la même année au studio d’animation de Tôei.
Son travail d’assistant metteur en scène sur quelques-uns des premiers longs métrages du studio l’amène notamment à côtoyer Mori Yasuji, l’animateur pionnier qui avec le Prince Garnement qui terrasse le dragon Orochi en 1963, lance au Japon le système de direction de l’animation, et le vétéran Otsuka Yasuo, le premier compagnon d’un groupe à la longue route commune.
Ayant fait ses débuts en tant que réalisateur sur des épisodes de la série télévisée Ken l’enfant-loup, il est choisi par Otsuka en 1965 pour réaliser son premier long-métrage, les Aventures de Horus, le prince du soleil, considéré aujourd’hui comme un tournant dans l’histoire du cinéma d’animation au Japon. Dénué du caractère enfantin des productions précédentes, le film repose sur un ensemble de parti pris techniques et une orientation stylistique radicalement neufs.
Ce premier film sera également le point de départ d’une association qui bouleversera à jamais la production animée nippone, entre Isao Takahata, Otsuka Yasuo, Miyazaki Hayao et Kotabe Yoichi. En 1971, Takahata quitte la Tôei, entraînant dernière lui deux jeunes animateurs, Miyazaki et Kotabe, il entre au studio A production, où il retrouve Otsuka.
Après avoir travaillé en commun avec Miyazaki sur la mise en scène de la première série télévisée de Lupin the third, dirigée par Otsuka pour l’animation. Il réalise deux courts métrages de Panda Kopanda, destinés à un public enfantin. Ces deux histoires, conçues avec Miyazaki, présentent déjà un grand nombre d’éléments chers à ce dernier, puisqu’il les reprendra quinze ans plus tard dans Mon voisin Totoro.
Après avoir initié avec Heidi le cycle de série annuelles des œuvres classiques du monde entier, adaptant des romans célèbres de la littérature pour enfants, principe qui durera vingt-trois ans, Takahata réalise deux autres de ces séries annuelles pour le compte de la compagnie Nippon Animation les maîtres du genre. Marco en 1976 et Ann aux cheveux roux en 1979, qui connaissent elles aussi un très grand succès, auprès des enfants comme des parents.
La décision de Takahata !
Parallèlement à son travail régulier pour le compte des grandes compagnies, il achève en 1981 la réalisation du film Goshu le violoncelliste, projet interne au petit studio de sous-traitance Ô Production, dont la genèse aura nécessité plus de six ans.
Le film, hommage à l’œuvre de l’écrivain Miyazawa Kenji, est couronné du prix Ôfuji, la distinction annuelle de référence pour l’animation au Japon. Durant la même période, il travaille avec Otsuka au sein du studio Telecom Animation Film sur un long métrage méconnu, Jarinko Chie en 1981, qui sera ensuite prolongé en série télévisée.
Producteur de Miyazaki sur les films Nausicaä de la vallée du vent en 1984 et le Château dans le Ciel en 1986, il est à son tour produit par Miyazaki sur un film documentaire en prise de vue réelle en 1987, Histoire du canal de la Yanagawa, avant de se lancer dans la réalisation de l’émouvant Tombeau des Lucioles en 1988.
Depuis, il a réalisé deux autres longs métrages empreints de la même ambition de décrire des moments précis de l’histoire de son pays, Souvenirs goutte à goutte en 1991 et Pompoko en 1994. Il finira sa carrière de réalisateur avec deux longs métrages Nos voisins les Yamada et le Conte de la Princesse Kaguya.
Un innovateur technique
Même si Takahata ne dessine pas, il est érudit en histoire de l’art et ne manque jamais de rappeler la tradition picturale liant le manga et l’anime aux Emakimono. Ces rouleaux créés à l’époque médiévale permettaient de raconter en images les romans comme Ledit du Genji, ou de tourner en dérision les puissants caricaturés en animaux.
C’est d’ailleurs cette esthétique qu’il cherche à recréer en partie dans son dernier film avec des traits qui ne délimitent pas des zones fermées d’aplats de couleurs, et une grande utilisation du blanc, plus suggestif que les images intégralement colorisées des anime habituels. Très perfectionniste quant à l’esthétique de ses films, Takahata cherche constamment à innover.
Après avoir participé à la création des processus de production de longs-métrages avec les celluloïds et leurs couches superposées de couleurs dans les années 1960, il utilise l’informatique pour donner l’illusion de l’aquarelle dans les Yamada tout en conservant le trait caractéristique du dessinateur original.
De même dans Kaguya, il essaie de garder la puissance du trait et ses variations au lieu de se servir de la chaîne de production habituelle où les différents dessinateurs se basent sur le model sheet pour uniformiser les contours. Hélas, cette innovation a un prix et le public n’est pas toujours sensible à cette originalité graphique.
Les Yamada n’ont pas eu le succès qu’ils auraient mérité, ce qui explique sans doute les dix années de silence de Takahata. De plus, le perfectionnisme du réalisateur entraîne de nombreux retards dans les productions. Miyazaki, à ce sujet, décrit affectueusement son mentor comme un paresseux aux griffes acérées.
Seita et Setsuko sont vraiment orphelins maintenant !
Il faut comprendre que chez ce diable de Isao, la recherche d’un réalisme documentaire répond à un projet et une ambition théoriques ; faire redécouvrir en les éclairant d’un regard neuf, divers aspect communs et singuliers de la réalité et notamment des comportements humains, par le recours à un mouvement dessiné, recréé de toutes pièces, fruit d’une étude et d’une élaboration minutieuses.
Les univers de nature fantastique ou fabuleuse, cadres récurrents en bande dessinée et en animation, ne l’intéressent pas. Il cherche au contraire à scruter le passé proche et le temps présent de son pays, pour en affronter résolument les problèmes, par le biais du dessin animé. La littérature s’impose d’évidence comme une source d’inspiration permanente. Le cinéma français, en particulier, en est une autre. Il en va de même pour la musique, l’histoire de l’art et des religions. Plus que jamais, et malgré les apparences, Takahata conçoit le cinéma d’animation comme le miroir du monde.
Alors pour tout cela je finirai sur ces mots Arigato mister Isao Takahata.
Pour aller plus loin…